Une variante, décrite par Junichiro Tanizaki dans "Eloge de l'ombre".
Ici, le riz n'est pas vinaigré, le poisson est salé et le sushi se consomme le lendemain. Quelques risques sanitaires si on ne prend garde à l'hygiène : à mettre immédiatement au réfrigérateur. Sinon, c'est l'intoxication assurée au Bacillus cereus. Et je sais de quoi je parle, ainsi que deux collègues avec qui j'ai mangé du riz refroidi puis réchauffé, à la Réunion. Ah cette nuit d'enfer dans les toilettes...
"Trouver dans une grande ville des mets qui conviennent au palais d'un vieillard
est une entreprise épuisante. Un journaliste, récemment, me
demandait d'évoquer pour lui quelque plat curieux et délicat ;
je lui indiquai la recette des sushi aux feuilles de kaki, que mangent les habitants
des vallées perdues des montagnes de Yoshino. Je profite de l'occasion
pour vous la révéler ici. Faites cuire du riz avec du saké, à
raison d'un gô de saké pour un shô de riz. Vous versez le saké dans la marmite
quand l'eau se met à bouillir. Quand le riz est cuit à point, vous le laissez
refroidir complètement, puis vous le pressez en boulettes entre vos mains saupoudrées
de sel. Les mains ne doivent conserver à ce moment-là aucune trace d'humidité.
Tout le secret est là : presser les boulettes rien qu'avec du sel.
Puis vous coupez en tranches fines du saumon salé, vous étendez les tranches sur les boulettes que vous enveloppez une à une dans les feuilles de kaki, la surface en dedans. Vous aurez pris soin au préalable d'essuyer avec une serviette bien sèche les feuilles et le saumon afin d'en extraire toute trace d'humidité.
Cela fait, dans un baquet à sushi, ou dans une boîte à riz dont vous aurez méticuleusement séché l'intérieur, vous disposez les boulettes de telle façon qu'il ne subsiste entre elles le moindre interstice, puis vous posez dessus un couvercle fermant hermétiquement, sur lequel vous placez une lourde pierre, comme si vous mettiez des légumes à confire.
Les sushi préparés de la sorte le soir, vous pourrez les manger dès le lendemain matin, et c'est ce jour-là qu'ils auront le plus de saveur, mais vous pouvez les consommer encore le second ou le troisième jour. Au moment de les manger, vous les aspergez de vinaigre dans lequel ont macéré des feuilles de poivre d'eau.
Je tiens cette recette d'un ami qui, lors d'un séjour à Yoshino, avait trouvé la préparation si savoureuse qu'il s'en était fait enseigner le secret, mais il suffit que l'on ait des feuilles de kaki et du saumon salé pour la réaliser n'importe où. N'oubliez pas surtout que toute trace d'humidité doit être éliminée, et que le riz doit être complètement refroidi.; j' en ai donc fait l'essai chez moi et c'était très bon. La graisse et le sel du saumon imprègnent le riz juste ce qu'il faut , et je ne puis décrire la consistance du poisson qui reprend son élasticité tout comme s'il était frais. La saveur n'est pas du tout celle des sushis de Tokyo : la trouvant davantage à mon goût, je n'ai, de tout cet été, guère mangé rien d'autre. Cela dit, quelle merveilleuse façon d'accommoder le saumon salé ! Combien j'ai admiré l'ingéniosité de ces montagnards, si démunis pourtant de tous les biens matériels."
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