La presque autobiographie de Ariyoshi : une enfant est vendue par sa mère à une maison de geisha. Pour l'instant, abandonnée par sa mère remariée, elle vit avec sa grand-mère souffrant de troubles mentaux.
- Grand-mère, veux tu des gâteaux porte bonheur ?
Elle dut insister plusieurs fois avant d'obtenir une réponse :
- ... Ah oui, oui , oui, si tu veux, répondit elle docilement, n'ayant
visiblement même pas entendu la question.
Tomoko plaça sur la grille deux gros gâteaux porte bonheur et un
plus petit . Ce n'était pas pour elle qu'elle avait préparé
ce gâteau supplémentaire mais pour sa grand-mère, dont elle
connaissait l'humeur fantasque. Elle avait apporté sur le plateau de
la sauce de soja et des algues séchées pour assaisonner les gâteaux
de riz glutineux.
Les gâteaux de fête " porte bonheur " étaient préparés
en ajoutant des haricots rouges au riz cuit à la vapeur et pilonné.
Ils étaient ronds, salés et un peu plus gros que les gâteaux
ordinaires. Leur teinte rose, due aux haricots rouges mélangés
à la pâte, les caractérisaient également, ainsi que
les grains de riz à demi écrasés qui restaient à
l'intérieur, car, afin de garder presque entiers les grains de haricots
rouges, le riz une fois cuit n'était pas pilonné jusqu'à
obtention d'une pâte élastique et lisse comme pour les gâteaux
de riz ordinaires. Tsuna adorait ces gâteaux, c'est pourquoi, la coutume
voulait dans cette maison que l'on préparât à la fin de
l'année davantage de gâteaux " porte bonheurs " que dans
les autres demeures. [...]
Les gâteaux porte bonheur, grillés à feu doux , paraissaient
cuits à cur, leur forme s'était légèrement
affaissée. Tomoko en saisit un entre les doigts, le fit glisser sur sa
paume et le refroidit en le faisant passer d'une main sur l'autre.
- Tiens, Grand-mère, il est prêt.
Elle le lui posa directement dans la main, car ce genre de gâteaux ne
devait pas être mangé dans une assiette avec des baguettes.
- Je préfère en prendre un petit.
Comme prévu. Tsuna avait changé d'idée. Tomoko versa un
peu de sauce de soja dans la coupelle qu 'elle avait préparée,
saisit avec une paire de baguettes le petit gateau grillé, écrasa
avec le bord des baguettes le morceau de pâte ramolli au feu pour bien
l'imprégner de soja, le roula dans une feuille d'algue croustillante
et le passa à Tsuna.
- Merci.
Tsuna le prit d'un air tout joyeux et le porta à sa bouche. Rassurée,
Tomoko prit à son tour un gâteau de fête, mais comme il était
resté un peu trop longtemps sur le feu, il avait durci d'un côté.
Quand on le pressait entre les doigts, la croûte s'émiettait, mais,
mais le goût restait irréprochable. Légèrement salés,
parfumés aux haricots rouges, comme ils étaient bons, ces gâteaux
de nouvel an ! Quand on les mâchait, la salinité du riz mêlée
à la douceur des haricots leur donnait une saveur d'une profondeur insoupçonnée.
Tomoko s'aperçut soudain que Tsuna, tenant toujours le gâteau entre
les doigts, avait reposé les mains sur ses genoux et regardait dans le
vague.
- Grand-mère !
- Quoi donc ?
- Ton gâteau va durcir.
- Ah, oui, oui, c'est vrai.
Mais Tomoko avait beau le lui rappeler, Tsuna répétait indéfiniment
le geste de porter le gâteau à sa bouche, puis le morceau qu'elle
avait fini par mordre retombait de ses lèvres sans qu'elle essaie de
le mâcher.
Ariyoshi Sawako, le miroir des courtisanes, Picquier poche, Arles 1998
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