Au commencement (VIIIème siècle), était le Renga ("poème lié") : 100 strophes esthétisantes, chargé de citations chinoises classiques, que des poètes raffinés composaient "à plusieurs mains" en alternant les strophes de 17 et 14 syllabes. Le waka ("poème japonais") encore appelé tanka ("chanson brève") était quant à lui composé de 5, 7, 5, 7 et 7 syllabes. Issus des oeuvres de cent poètes classiques, les tanka donnaient lieu à des jeux de société : deux cent cartes comportant chacune une moitié de poésie sont mélangées. Le maître de jeu lit une première moitié et chaque joueur doit se précipiter pour saisir la carte complémentaire.

Les deux poésies, renga et tanka, commençaient par un tercet de 17 syllabes (respectivement 5, 7 et 5). Peu à peu, ce tercet devint indépendant et forma le Haïkai no renga (poème lié de comique, ou poème divertissant). Haïku est un terme créé par Shiki (1867-1902), en réaction à la décadence du haïkaï de son temps.


Plus personne ne semblait supporter les formes anciennes de la cour de Heian : on peut dater la "bataille d'Hernani" de la poésie japonaise à ce brûlot du samouraï Yamazaki no Sôkan (1465-1553) :

Tu nous casse les oreilles
passe loin de nous
toi petit coucou
les sots de la capitale
doivent certainement t'attendre

hokusai, guerriers tirant à l'rc


Les plaisanteries et les jeux de mots tardèrent pas à remplacer les citations classiques, les sujets de la vie de tous les jours, les évocations de nobles vies. Le premier maître et fondateur du haïkai fut Munefusa Matsuo, plus connu sous le pseudonyme de Bashô ( "le bananier", 1644-1694), qui éleva la poésie au rang d'art populaire : même de simples paysans organisaient des concours de haïkus.

Diverses écoles vinrent après Bashô, parfois reprises par le démon de l'hermétisme et des mignardises de Heian, ce qui engendrera des refondateurs. On citera parmi les grands maîtres Buson (1715-1783), un esthète. Kobayashi Issa (1763-1827), un pauvre paysan monté à la ville, ruiné par une belle famille indigne, sensible au destin de ses compagnons de misère.
Enfin Shiki (1867-1902), qui emprunta son nom au coucou chinois ( oiseau réputé cracher le sang quant il chante) et mourut tuberculeux en laissant une poésie réformée et une œuvre si humaine et réaliste.

 

Dans sa forme classique le haïku se compose de 17 syllabes réparties en trois vers de 5, 7 et 5 syllabes, mais on connaît des haïkus irréguliers, même chez Buson. Il est vrai que le génie sait transgresser et manier l'anacoluthe.

Une telle concision oblige à l'ellipse, aux images.

Herbe d'été flétrie
tout ce qui reste
du rêve de guerriers

Bashô (1644 - 1694), sur le site de la mort de Minamoto Yoshitsune


Chaque haïku doit comprendre un terme faisant allusion à une saison, le Kigo. Ce peut être un commentaire sur la chaleur estivale, sur l'aspect de herbes brûlées par le gel ou, plus allusivement, la citation d'une fête ou d'une action spécifique à une saison. Par exemple les mochis du nouvel an, la contemplation de la voie lactée lorsque l'étoile du bouvier peut rencontrer l'étoile de la tisserande, ou le nettoyage des marmites et le remplacement des papiers sur les portes... Bien sûr, certains maîtres anciens n'ont pas hésité à déroger à la règle, ou certains réformateurs modernes... Bashô lui même ne déclarait il pas : "Gardez vous de lécher la bave des Anciens"?

 

Sans artifice littéraire, rejetant les habituels clichés poétique le haïku exprime les émotions devant la beauté de la nature ou devant le tragique de la souffrance humaine. Le sujet se doit d'être léger, prosaïque : une promenade, le spectacle le plus trivial, les activités des pêcheurs ou des paysans, la simple cuisine indigne de la poésie de Heian...

 

Ni en poésie
Ni en renga on ne trouve
Les bons petits plats

Bunrin, cité par Bashô (in " Friches ")

On grille des châtaignes
Tranquilles bavardages
Crépuscule du soir.

Shiki (1867-1902)

Sa Grandeur l'Abbé
Faisant sa grosse commission
Sur la lande fanée

Buson (1715-1783)
Est ce bien raisonnable?

 

Sur les fleurs de lotus
Pisser
O-shari

Shikô (1664-1731)

Le lotus est la fleur sacrée du bouddhisme. "Shari" désigne les os du Bouddha. Comment oser faire et écrire de telles choses? En réalité, celui qui a connu l'Illumination est totalement détaché des choses de ce monde et ne se soucie même pas d'une éventuelle entrée au Paradis... Cela dit, les auteurs de haïkus ne semblaient généralement guère apprécier le clergé bouddhiste.

 

Une simple grenouille, un corbeau sur un épouvantail, une mante religieuse... Le vide ou l'absence, comme dans ces vers de Matsuo Bashô (1644-1694) :

Un bruit de sandales
Fait résonner le silence ;
Fin de nuit d'été !

Brume et pluie
Fuji caché cependant je vais
Content.

 


Il est quelquefois frappé d'un humour amer. Il peut être caustique, parfois mais plus rarement que certains l'ont dit, à double sens

Mangeant la salade j'ai vu
La Limace
Quelle chaleur

Bon O ( né en 1955 ) Vision d'une grande andouille de fonctionnaire, restaurant administratif, 7 juillet 2001.

 

Heureuse bru
Elle entasse des prunes séchées
Dans le cuveauDaikoku (richesse) porte un maillet et deux sacs de riz, perpétuellement pleins.

Auteur inconnu. Qu'est ce qui peut être vieille, ridée, dans un cercueil et réjouir une belle-fille?


Erotique ou franchement pornographique, le shinto ne s'embarrassant pas du péché originel.

De Daikoku
Les moines aiment le haricot
Bien plus que le riz

Banal péché de gourmandise ? Daikoku, l'un des sept dieux du bonheur est un courtaud replet, flanqué de deux énormes ballots de riz... Quand au "haricot", son sens est le même qu'en français très argotique...

 

Un autre haïku, qui ne parle pas seulement de la mort héroïque des guerriers :

Heureux celui qui
Fier dressé a su périr
En pareille beauté.

 

Maintenant, pour un plaisir partagé, un florilège de haïkus, généralement relatifs à la cuisine. Ou parfois pas. Et réciproquement...

 

Après les chrysanthèmes
Hormis le navet long
Il n'y a rien

Bashô (1644 - 1694)

Ni lune ni fleur
Pour boire son saké
Il est là tout seul

Bashô (1644 - 1694)
Ivrogne solitaire. Sans excuse...

 

Ivrognes, par Masanobu?

 

Vieux village
Pas une maison
Sans son kaki

Bashô (1644 - 1694)

Des tatsakuri
La nuit chassant des rats
Ah quelle froidure

Kidô (in Bashô, " Friches ")

Tatsakuri : poissons séchés de la fête du nouvel an.

 

Fleurs de mochi
Couvertes de suie
Bonnes à jeter

Yasui (in Bashô, " Friches ")

Des décorations florales en riz. Souillées, elles seront inconsommables (sauf si l'année a été mauvaise).

 

On bat les mochi
Ne tenant plus à la maison
Il va boire du saké

Rika (in Bashô, Friches)

Derrière un pot d'azalées
Une femme déchire des morues
Séchées

Bashô (1644 - 1694)

 

 

 

Narazuke
Crient ils à leur père qui pèche
A marée basse

Etsujin (in Bashô, Friches)

Narazuke : légumes en vinaigre, pour le pique-nique.

 

Buvons toute la nuit
Pour faire un pot à fleur
Du tonneau

Bashô (1644 - 1694)

Neige du matin
Les poireaux sont des repères
Dans le jardin

Bashô (1644 - 1694)

D'ouest ou d'est
Sur les plants de riz
Bruit du vent

Bashô (1644 - 1694)

Daurades salées
Froides gencives
Chez le poissonnier

Bashô (1644 - 1694)

 

 

Un chat de gouttière
Court sur l'avant-toit
La lune d'hiver
Joso (1661-1704)

Occupé à planter les pousses
Il va pisser dans la rizière
Du voisin
Yayû (1701 1783)

Mouches vertes piquant
Les yeux des poissons morts
Quelle chaleur
Chiryû

A qui vient de saisir les os du défunt
La consolation
Des violettes

Buson (1715-1783)

Après la crémation, on saisit les esquilles non brûlées avec des baguettes.

 

Devant les prunes vertes
Elle fronce les sourcils
La belle fille

Buson (1715-1783)

Accrochés à la ceinture
Des saumons séchés
Vieillard au marché

Buson (1715-1783)

Matin de neige
De la fumée monte de la cuisine
Réjouissante

Buson (1715-1783)

Soupe au fugu
Je me réveille
Encor vivant


Buson (1715-1783)
Fugu, tétrodon ou poisson coffre, dont certaines parties du corps sont empoisonnées.

 

Lune froide
Le gravier crisse
Sous la chaussure

Buson (1715-1783)

Brouillard matinal
Dans le village aux mille avant-toits
Les bruits du marché

Buson (1715-1783)

 

Hokusai : Pont de Nihonbashi à Edo/Tokyo (fragment)

 

Marché de Kantan
J'examine des fugu
Neige matinale

Buson (1715-1783)

Le vent d'hiver
Les rochers déchirent
Le bruit de l'eau

Buson (1715-1783)

Foulant les feuilles dorées du ginkgo
Le gamin tranquillement
Descend la montagne

Buson (1715-1783)

Marché à la baleine
Bruit des couteaux
Que les pêcheurs dégainent

Buson (1715-1783)

Nettoyant une casserole
Rides sur l'eau
Un goéland solitaire

Buson (1715-1783)

Les fleurs de thé
Encerclent les rochers
Encombrent le sentier

Buson (1715-1783)

L'hiver est sec
Le corbeau noir
Le héron blanc

Buson (1715-1783) Tout est dit en trois truismes.

Sous son faix de millet
Un cheval s'écroule
Un oiseau chante

Buson (1715-1783)

Soleil tardif
Un faisan descend
Sur le pont

Buson (1715-1783)


Hokusaï : Le char des poèmes Kyôka de la rivière Isuzu

 

Combien sont-ils donc
avançant en zigzaguant
les marchands de sardine

Ryokan (1758-1831)

Le rossignol
Du rêve m'a réveillé
Mon riz du matin

Ryokan (1758-1831)

Bateau de riz
Tout droit vers
Le croissant de lune

Ryokan (1758-1831)

Le vent de l'été
Apporte dans ma soupe
Des pivoines blanches

Ryokan (1758-1831)

Escargot lentement
Lentement escalade
Le Fuji

Kobayashi Issa (1763-1827)

Combien répugnant
Au fugu doit paraître
Le visage humain

Kobayashi Issa (1763-1827)

Sous un arbre décoré
De boules de mochi
L'enfant bat des mains

Kobayashi Issa (1763-1827)

Une demeure sans saké
C'est vexant
Mais quels chrysanthèmes

Kobayashi Issa (1763-1827)

Seul
Prenant mon repas
Le vent d'automne

Kobayashi Issa (1763-1827)

L'eau de la montagne
Broie le riz
Je fais la sieste

Kobayashi Issa (1763-1827)
Un moulin à aube?

Comme ils sont beaux
Les champignons
Les tueurs

Kobayashi Issa (1763-1827)

Sur un tas d'ordure
La grue se pose
A Waka no Ura

Kobayashi Issa (1763-1827)

 

 

Pluies de printemps
Plaisantes les flammes qui lèchent
Les culs de marmites

Kobayashi Issa (1763-1827)

Si quelqu'un approche
Change toi en grenouille
Melon mis au frais

Kobayashi Issa (1763-1827)

Arbres couverts de gel
Semblant quémander du riz
Les moineaux qui piaillent

Kobayashi Issa (1763-1827)

Botamochi
Devant le Bouddha des buissons
Brise printanière

Kobayashi Issa (1763-1827)

Le botamochi est une offrande de riz gluant, Mochi. L'année a été bonne.

 

Si l'année était bonne
J'abriterais encore une mouche
Sur ma pitance

Kobayashi Issa (1763-1827)
L'année a été mauvaise.

Bouddha dans la lande
Au bout de son nez
Une stalactite

Kobayashi Issa (1763-1827)

Les pilonneurs de mochi
Sont déjà chez le voisin
Dit l'enfant

Kobayashi Issa (1763-1827)

La palourde a fermé
Sa bouche
Quelle chaleur !
Chinshi

A la flamme de la lampe
J'ai grillé
Mon pinceau gelé
Tairo ( - 1778)

Dans ce monde de rêves
Je cultive des oignons
Solitude
Kôi ( - 1870)

Silence
Le bruit d'un oiseau
Sautillant sur les feuilles mortes

Ryushi

Le fond de l'eau
Je l'ai aperçu, dit
Le visage du caneton

Jôsô
. Le bec est souillé de vase.


 

A l'ombre des poteaux à linge
Se devine
Le solstice d'hiver

Shiki (1867-1902)

Dans la petite échoppe de village
Qui vend des gâteaux bon marché
Des hibiscus

Shiki (1867-1902)

Les mains pleines de praires
Rayonnant de joie
Il appelle son copain

Shiki (1867 - 1902)

Du riz aux châtaignes
Quoique malade
Toujours aussi vorace

Shiki (1867 - 1902)

Cabane de pêcheur
Odeur du poisson séché
Quelle chaleur !

Shiki (1867 - 1902)

Etang dégelé
Une crevette bouge
Dans de vieilles algues

Shiki (1867 - 1902)

 

Surimono

 

J'ai mangé
Trop de kakis
Ah, malade !

Shiki (1867 - 1902)

Sous les fleurs disparues
On commence a apercevoir
les concombres

Shiki (1867-1902)

Quelle fraîcheur de l'air.
Un petit crabe, sous la pluie,
Grimpe sur un pin.

Shiki ( 1867 - 1902 )

Des feuilles de lotus dans l'étang
Bougent sur l'eau.
Pluie de juin.

Shiki ( 1867 - 1902 )

Mante religieuse
Piteuse escaladeuse
De melon

Shiki (1867-1902)

Sauts de carpe
Rides sur l'eau
Lunaire

Shiki (1867-1902)

Le casse croûte
Dévoré par les daims
Feuilles rouges de l'automne

Shiki (1867-1902)

 

J'entends bramer les daims
Que je suis seul
Auberge à Nara

Shiki (1867-1902)
Nara, la première et la plus belle Capitale.

 

Des meules de foin
Dans la vaste solitude
De la lande flétrie
Shohaku

Lune froide
Seul je marche
Bruit du pont

Taigi

Mon déjeuner
D'aujourd'hui
De l'eau
Santoka

Le rossignol !
Mes mains au-dessus de l'évier
S'interrompent

Chigetsu ni (1622-1706)

Herbes nouvelles
Le panier aux palourdes
Tout dégouttant

Natsume Sôseki ( 1867 - 1916 )

Pluies d'automne
Odeur des soba
Mises à bouillir

Natsume Sôseki ( 1867 - 1916 )

Le riz est savoureux
Le ciel bleu
Bleu
Santoka.
Profitons de l'instant

 

Tout petit japonais sait qu'il y a un lapin pilant le riz sur le sol lunaire

 

http://www.big.or.jp/~loupe/links/fhisto/favant.shtml

Essayez également avec un moteur de recherche, en lançant le nom d'un auteur ou d'un traducteur.

Bashô : "Friches" volume 1, traduit par R. Sieffert, Presses orientalistes de France, 1992.

Bashô : "le manteau de pluie du singe", traduit par R. Sieffert, Presses orientalistes de France, 2002.

Bashô : "Cent cinq haikaï", traduit par Fouad El-Etr et Koumiko Muraoka, La Délirante, 1979.

Maurice Coyaud : "Fourmis sans ombres", anthologie-promenade, Phébus, 1985.

Maurice Coyaud : "Tanka, haiku, renga, le triangle magique", Les belles lettres, 1996.

Shiki, "le mangeur de kakis qui aimait les haikus", traduit par Cheng Wing fun et Hervé Collet, Moundarren, 1992.

Kobayashi Issa "En village de miséreux" traduit par Jean Cholley Gallimard, 1996.

Jean Cholley "Haiku érotiques", Philippe Picquier, 1996.

Et si le coeur vous en dit : Philippe Costa, "Petit manuel pour écrire des haïku", Philippe Picquier, 2001

 

Le plus célèbre haiku évoque le silence brisé par le saut d'une grenouille. Vous le trouverez sans peine dans ces livres...

 

 

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